"Madame
Sarah El Haïry, vous avez désormais la responsabilité d'un secteur majeur"
Dans
une tribune au Media Social, en forme de lettre ouverte, Jean-Pierre
Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, et Maxime
Zennou, directeur général du Groupe SOS jeunesse, attirent l'attention de la
nouvelle ministre déléguée chargée de l'Enfance, de la Jeunesse et des
Familles, Sarah El Haïry, sur les graves difficultés de la protection de
l'enfance.
Madame
la Ministre,
En
charge de l’enfance, de la jeunesse et des familles, vous avez désormais la
responsabilité d’un secteur majeur pour notre société et l’opportunité rare
d’une approche globale et cohérente avec ces trois objets de politiques
publiques fortement imbriquées.
La
puissance publique nationale et territoriale a le devoir de développer des
services de proximité de soutien à la parentalité et aux enfants en difficulté.
Or, nous sommes encore loin de disposer des modes d’accueil de la petite
enfance, qui connaissent une crise grave, et des dispositifs de protection de
l’enfance nécessaires. La pédiatrie est en souffrance et vous savez l’extrême
tension qui perdure sur la pédopsychiatrie. Et tout simplement, le mal-logement
s’enkyste.
Force
est ici d'observer que tous les dispositifs de proximité d'aide aux parents et
aux enfants sont en grande souffrance : service social scolaire, service de
santé des élèves, protection maternelle et infantile, mineurs isolés,
accompagnement des enfants porteurs de handicap quand, d'ores et déjà, 18
départements ont supprimé la Prévention spécialisée.
Situations
graves
Trois
millions d’enfants sur quatorze vivent sous le seuil de pauvreté avec toutes
les conséquences sur leur vie quotidienne, mais encore sur leur développement.
Comme le relevait le Premier ministre, lui-même, trop d'enfants sont en
souffrance mentale sans trouver les réponses adaptées. Ce n’est pas acceptable.
Comme
n’est pas acceptable la crise que traverse la Commission indépendante sur
l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) en
déliquescence. L’image renvoyée aux victimes, à l’opinion et aux professionnels
est calamiteuse.
La
multiplication des situations graves et, sans doute, également notre plus
grande sensibilité à ces situations se répercutent massivement sur le
dispositif administratif et judiciaire de protection de l'enfance. Nombre de
mesures de protection en faveur d'enfants, tenus publiquement comme étant en
danger ou porteurs de handicap, ne sont pas mises en œuvre ou exécutées avec un
grand retard.
Que
vont devenir ces enfants et adolescents, d'ores et déjà en difficulté, et ces
jeunes sans avenir positif, qui ne croient en rien, en tout cas pas dans la
République pour répondre à ce qu'ils vivent et tiennent comme injuste ?
Travailleurs
sociaux en souffrance
Force
est également de relever la crise que traversent les acteurs de ce service
public. Trop de travailleurs sociaux sont en souffrance. Nombre quittent leurs
fonctions et ne sont pas remplacés, devant le peu d'attractivité de ces
métiers, obligeant ainsi de nombreuses institutions à fonctionner sur un mode
dégradé, en sous-effectif, et avec des personnels qui ne disposent pas toujours
des qualifications requises.
Les
associations gestionnaires qui les emploient sont elles-mêmes en grande
difficulté faute de sécurité économique, et peinent à les remplacer. Les écoles
de travail social du champ associatif comme les concours de recrutement de la
fonction publique connaissent ainsi une préoccupante désaffection.
Madame
la ministre, la crise est majeure. Les faits sont têtus, les chiffres parlent.
« La maison brûle et on regarde ailleurs ! ».
Dans
le dernier trimestre 2023, avec notamment nombre de professionnels, mais aussi
d'institutions publiques en charge de conseiller les pouvoirs publics, nous
avons appelé à des États généraux de la protection de l'enfance qui débouchent
sur un « Plan Marshall ».
Il
leur a été préféré la mise en place, en lien avec l’Association des
départements de France, de cinq groupes de travail thématiques avec une
échéance fixée à la fin juin 2024, soit la veille des Jeux Olympiques…
Vous
observerez qu’aujourd’hui ce travail n'a toujours pas été engagé. Dès lors, on
peut craindre qu'il ne débouche pas avant la fin 2024 quand déjà des mesures
d’urgence s’imposent, pour desserrer l’étau financier des conseils
départementaux et des associations, et maintenir en fonction nombre
d’intervenants sociaux professionnels.
Décrets
en attente
Une
planification doit être dégagée alors même que les budgets des établissements
pour 2024 font le plus souvent à peine l’objet d’une simple reconduction.
Mais
d’ores et déjà, on peut agir à droit constant en prenant les décrets
d’application encore attendus de la loi du 7 février 2022.
Il
revient encore à l’État, non seulement de dégager des moyens supplémentaires
pour assumer les missions qui relèvent de sa compétence, mais aussi de
retrouver une administration territoriale à même d'exercer les responsabilités
propres qui lui reviennent, pour notamment accompagner les départements en
déficit d’expertise et de moyens.
Il y
va de l'intérêt des enfants et des jeunes de ce pays, mais aussi tout
simplement de la cohérence sociale. Comment attendre des enfants et des jeunes
qu’ils partagent le projet républicain s’ils ont le sentiment d'être délaissés
par la République ?
Une
démarche interministérielle avait timidement été engagée sous le précédent
gouvernement. Elle doit être plus que jamais incarnée et commencer à produire
ses effets sur l'ensemble des territoires, y compris les ultramarins trop
souvent mal lotis.
Nous
sommes nombreux à y croire encore, et à vouloir redoubler d'engagement pour une
cause hissée au rang de « priorité présidentielle », qui impacte tout notre
pays.
Dans
l’attente de vous développer ces éléments de réflexion et illustrer les pistes
qui s’imposent, en saluant votre arrivée à ces responsabilités qui fait
renaître l’espoir, nous vous assurons Madame la ministre de notre plus profond
respect.
Jean-Pierre
Rosenczveig, magistrat honoraire, président d’Espoir-CFDJ et de LaVita,
co-président de la commission enfances-familles-jeunesses de l’Uniopss, membre
du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), et co-président
de la commission Ultramarins – Expert Unicef
Maxime
Zennou, directeur général du Groupe SOS jeunesse, délégué territorial aux
Outre-Mer